Adios Mercedes Sosa (1935-2009)

Avec la mort de l’Argentine Mercedes Sosa, survenue le 4 octobre,

l’Amérique latine a perdu l’une de ses plus grandes voix.


Se transcribe la nota aparecida en la revista francesa les Inrocks, firmada por R. Robert, a propósito de la muerte de la cantante argentina.

C’était en janvier 2006, sur la scène du théâtre Atahualpa Yupanqui, vaste arène en plein air nichée au cœur de la ville argentine de Cosquin. Le rideau était encore fermé lorsqu’on entendit soudain résonner la voix de Mercedes Sosa. Un coup de canon aurait sans doute eu moins d’effet que ce chant bouleversant de solennité, frappant au foie autant qu’au cœur. Dans un tonitruant cri d’amour, la foule compacte – cinq à six mille personnes bien tassées – se leva comme un seul homme. Une moisson de drapeaux et de banderoles ondoya dans les travées, tandis qu’une pluie de confettis argentés inonda les premiers rangs. En ce soir d’été austral, le vénérable Festival national de folklore de Cosquin – où Mercedes Sosa avait écrit la première page de sa légende quarante ans plus tôt – vivait l’une des plus intenses flambées de passion de son histoire.

Bientôt, la chanteuse apparut, et le contraste entre l’autorité de son chant et la précarité de sa condition physique fut un motif supplémentaire d’étonnement et d’émotion. Enfoncée dans un fauteuil, la responsable de ce formidable trouble à l’ordre public était une sculpturale mamie de 70 ans, parvenant tout juste à saluer ses admirateurs de la main. Une heure et demie durant, elle allait pourtant maintenir l’audience en ébullition, enchaînant sans faiblir quelques classiques de son répertoire et nombre titres de son nouvel album, Corazón libre. Telle était Mercedes Sosa, qui vient de s’éteindre à Buenos Aires des suites de graves dysfonctionnements rénaux et pulmonaires. Esclave d’un corps qui ne connaissait plus que la douleur, celle qu’on surnommait "La Negra" restait cette déesse qui, par le seul pouvoir de son chant, faisait parler la poudre et tomber la foudre. A la fin du concert de Cosquin, galvanisée par l’énergie que le public lui avait renvoyée, elle avait même esquissé quelques pas de danse. "Je suis née pour chanter, nous avait-elle dit le lendemain, à bout de force mais heureuse. C’est un besoin vital. Le jour où je ne pourrai plus mettre cette charge émotionnelle que j’aime placer jusque dans la note finale d’une chanson, alors j’estimerai que j’aurai achevé mon travail. Pour l’heure, je suis encore prête à lutter pour vivre des soirées comme celle-là."

"Lutter" est un mot que Mercedes Sosa, toute sa vie durant, aura su faire résonner dans toute la variété de ses acceptions. Dans son pays comme à Paris ou à Madrid, où elle fut contrainte de s’exiler au milieu des années 70, elle restera à jamais l’une des voix qui bravèrent l’infamie du régime dictatorial argentin – "la voix des sans-voix", comme on aimait alors à l’appeler. Comme ses compatriotes Atahualpa Yupanqui ou Horacio Guarany, cette inlassable militante aura aussi porté la libre parole d’un folklore qui, en fusionnant racines indiennes et influences européennes, a donné vie à une multitude de genres – zambas, chacareras, milongas et autres tonadas. Elle aura enfin été cette chanteuse allergique à la routine qui, dans des albums aux arrangements parfois pointus (tel le sublime Mujeres argentinas de 1969) s’employa à faire décoller et voyager des traditions solidement ancrées dans les provinces argentines.

Ses derniers disques, eux, auront marqué un retour à une plus grande économie musicale, comme pour épouser au plus près le souffle de vie fragile mais obstiné qui l’animait. Sans ornements superflus, le folklore argentin y affichait une sophistication d’écriture et d’interprétation qui le rapprochait des sphères du jazz et du classique. "C’est dans cette pureté que je me sens le plus libre, nous avait confié la chanteuse. Il me suffit désormais d’une guitare, de légères touches de violon et de quelques percussions. Quand il est joué avec autant de douceur, le folklore est vraiment merveilleux."

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